Les rapports entre la Sicile et la Tunisie ont toujours touché, depuis la nuit des temps, à toutes sortes de relations: économiques, sociales, politiques, culturelles et aussi amoureuses.
En effet, suite à une forte immigration sicilienne en Tunisie entre le XIXe et le XXe siècles, beaucoup de mariages ont eu lieu surtout entre femmes tunisiennes et Siciliens, et Siciliennes et hommes tunisiens dépassant ainsi toutes les incompréhensions liées à leur différence culturelle et religieuse. Les cas sont innombrables.
Si aujourd’hui certains Tunisiens détiennent la nationalité italienne, c’est aussi grâce à une grand-mère sicilienne ou italienne qui, à l’époque, avait décidé de rester en Tunisie et d’y fonder une famille.
Il faut toutefois savoir qu’une autre typologie de mariages entre Siciliens pouvait avoir lieu en Tunisie, il s’agissait de la «fuitina», qui prend son origine du verbe français «fuir» ou encore prendre la fuite. En principe, le terme «fuitina» ne fait référence qu’à l’évasion consensuelle d’un jeune couple, mais la pratique se prête également afin de camoufler l’enlèvement réel, et peut-être le viol, de la future mariée.
Jusqu’aux années 60 du siècle dernier en Tunisie, nous assistons à la présence de couples d’amoureux siciliens arrivés en barque sur les côtes tunisiennes pour échapper au diktat de leurs familles, ayant décidé de ne pas céder à la volonté de mariage de leur progéniture, et ce, pour une question liée à la différence de statut social ou bien de possession de biens, terrains, maisons… Un peu comme «Roméo et Juliette», mais cette fois-ci du prolétariat.
Dans la plupart des cas, la dulcinée n’était plus vierge, voire enceinte, et la seule solution qui se présentait aux amoureux était celle de fuir leurs villages, voire l’Italie. Vu le rapprochement géographique avec la Tunisie, le choix était vite fait.
Cette évasion pré-maritale, souvent utilisée en Sicile et dans toute l’Italie du Sud, visait donc à éviter le mariage arrangé par les familles et parfois elle était réalisée en accord avec l’une ou les deux familles des jeunes, pour des raisons économiques ou «perte de virginité», si chère aux bigots siciliens de l’époque !
Parfois, c’était la mère de la fille qui organisait et favorisait l’évasion pendant la nuit et préparait la «truscia» traditionnelle, le trousseau de la mariée, contenant des vêtements, draps, nappes, couettes, argent et parfois même quelques habits pour le bébé qui s’apprêtait à naître. La nourriture nécessaire pour toute la durée du «voyage» faisait aussi partie du fameux trousseau. Les fugitifs, souvent, ne retournaient plus dans leurs villages respectifs.
Ces couples étaient assez jeunes et parfois leur âge ne dépassait pas 14 ou 16 ans. Une décision importante comme la «fuitina» serait de nos jours impensable pour de si jeunes adolescents qui, n’étant pas libres de s’aimer à cause de la méfiance ou des conflits entre leurs familles, décidaient à un moment donné de tout quitter, de s’enfuir de chez eux et de vivre ensemble dans un pays qu’ils ne connaissaient pas et dont ils ne parlaient même pas la langue !
Ces jeunes amoureux étaient aussi conscients du fait qu’une fois que la décision avait été prise, il n’y avait plus de retour en arrière. En fait, les questions liées principalement à l’honneur de la femme, qui ne pouvait plus retourner chez elle une fois qu’elle avait perdu son état de pureté originelle, entraient en jeu.
La «fuitina» semble donc trouver une explication pas tellement dans le caractère romantique qui est généralement attribué à l’action, mais plutôt dans des raisons purement sociales qui plongent les raisons dans les mécanismes de la gestion des relations humaines au sein d’un groupe. La fuite amoureuse est un moyen de régler les conflits sociaux par la mise en œuvre d’un événement qui interrompt le cours habituel des relations conflictuelles entre deux familles ou bien deux clans.
Pour cette raison, dans son caractère intrinsèque, la «fuitina» est un événement «extraordinaire», qui va au-delà de l’habituel, tout en s’y opposant. Mais elle fait encore plus ; elle parvient à revoir l’habituel et à le modifier, apportant une solution à l’hypocrisie de la société et de la religion, prêtes à tout critiquer, commettant ainsi les pires crimes.
La «fuitina» permettait aux familles de passer également en revue leurs modèles d’interaction, en y apportant parfois des changements substantiels.
saidane
25 octobre 2020 à 13:19
très beau reportage sur les coutumes anciennes hypocrites qui sont d’autant plus d’actualité Amor et Amelia saidane .